Paroles de boulonnais

Jérôme Bony : Une vie autour du monde

C'est mieux d'habiter dans une ville qui bouge...

Publié le

Nous nous dirigeons vers le musée des Années Trente, le voyage ne sera pas long pour le grand reporter boulonnais. Jérôme Bony pose devant une toile signée Jean-Hébert Stevens (1888-1943), son grand-père maternel. L’artiste, membre fondateur du Salon des Tuileries, y immortalise son cousin, l’architecte Robert Mallet-Stevens (1886-1945). Sacrée famille, famille sacrée. Jean-Hébert Stevens, qui promeut l’art chrétien, aura quatre enfants dont deux filles, Adeline et Geneviève. Elles épouseront… deux frères ! Tous deux maîtres verriers, ce sont Paul et Jacques Bony, le papa de Jérôme.

Retour en 2020. Le jeu de piste familial aurait pu tout aussi bien nous mener à l’église de l’Immaculée-Conception où Paul et Jacques Bony créèrent de splendides vitraux dont La Vierge de l’Enfant-Jésus. Jérôme sourit : «   Enfant, sur une fiche, à l’école, j’avais dû écrire la profession de mon père, ce qui me valut une belle réprimande de maman…  » Dans sa candeur, l’écolier avait écrit : «   Chef vitrier   » ! En l’atelier de la maison familiale, à Paris, sommeillait une superbe moto Royal Enfield rouge sur laquelle l’oncle François Hébert-Stevens avait sillonné l’Afghanistan dans les années 50. Et il y avait aussi l’aura d’un père tout à la conception de ses vitraux : «   Il m’a appris à voir la lumière, l’instant où elle donne vie aux choses qui nous entourent, raconte Bony. Il a travaillé dans l’éternité, les églises, les cathédrales, et moi plutôt dans l’éphémère.  »

L’Afghanistan au coeur

Le long-métrage de Jérôme, fou de cinéma et de caméra Super 8, aurait pu s’arrêter en 1972. Déjà un peu routard, il sillonne le Texas en auto-stop quand il est fauché par une voiture. Du terrible accident, dont il garde encore aujourd’hui les séquelles, le futur grand reporter tire une leçon : «   La vie est fragile, tu as failli y rester, il faut juste faire ce qu’on a envie de faire.   » Il plaque ses études de droit et son job de pion, postule en 1977 à une émission d’Antenne 2 qui deviendra mythique : La Course autour du monde. Quatre mois durant, les concurrents doivent sillonner une vingtaine de pays, obligatoirement répartis sur les cinq continents, envoyer leurs reportages à l’arrache via des voyageurs lambda rentrant sur Paris. Les portraits de femmes lui portent chance : du symbolique rituel de la «  déesse vivante  » (Kumari) au Népal à la fantasque Sue Z.Vickers de Los Angeles, vendeuse de cosmétiques et étrange prêtresse en Cadillac rose. Et aussi, déjà, l’Afghanistan, pour un reportage marquant sur le bouzkachi, épreuve où les cavaliers s’affrontent, une dépouille de chèvre décapitée tenant lieu de ballon. Bony remporte la Course, ex aequo avec Didier Régnier, et intégrera bientôt la rédaction d’Antenne 2.
La suite – «   mon parcours, je n’aime pas trop le mot carrière   » – ne peut s’appréhender qu’à travers la dimension d’un livre sorti en 2007*. Une vie de grand reporter de télévision filant dans tous les coins chauds du globe, un peu avant les collègues, de préférence : Liban, Turquie, Algérie, Irak, Iran, Albanie, Somalie, Roumanie, pays des bloc de l’Est, etc. Des départs, des retours, et l’ex-Yougoslavie, souvent. Sarajevo, où il annonce en 1991 («   avant que ça pète   »), et peu veulent y croire à Paris, que la guerre menace. «   J’ai parfois pris des risques dans ma vie, ça tirait un peu de partout. Le bon grand reportage, c’est travailler sur la durée, pour tenter de bien décoder, commente-t-il modestement. Sur le terrain, ce fut le cas en ex-Yougoslavie, rien n’était simple. Résumer cette période à la lutte entre l’ange et le démon était par trop manichéen.  »

De Berlin à Boulogne-Billancourt

Bony s’est installé à Boulogne-Billancourt après cinq années passées comme correspondant permanent à Berlin pour France 2. Boulogne, «   ville dynamique   », le quartier du Trapèze, ses architectures géométriques qui lui rappelaient le nouveau visage de la capitale allemande. «   C’est mieux d’habiter dans une ville qui bouge   », sourit-il. En décembre, on le croisait au Pont de Sèvres lors de la présentation du tournage de Yann Arthus-Bertrand. Désormais «  retraité  » (les guillemets s’imposent), père de 5 enfants et trois fois grand-père, Jérôme Bony reconnaît que boucler sa valise pour partir au bout du monde «   lui manque quand même un petit peu   ». Et les yeux de ce grand émotif brillent toujours à l’évocation de 11 lettres magiques : Afghanistan. Un pays où il se rendit si souvent, et surtout avec son ami disparu Christophe de Ponfilly, pour y rencontrer le commandant Massoud au début des années 80. «   Être journaliste, ce n’est pas regarder les choses dans une vitrine sans y toucher…  », affirme-t-il. Le formidable documentaire Massoud l’Afghan, somme de nombreux reportages réalisés par de Ponfilly, est régulièrement rediffusé. Ce film en dit bien plus et mieux qu’un long discours sur l’art du grand reportage.

 

(*) À lire : Grand reporter, dans les coulisses de l’actualité. Jérôme Bony. Aux Éditions Michalon. Accessible sur les plateformes de vente en ligne.